Une grande passion pour les vieux tubercules

06. décembre 2019


Ceux qui pensent qu’une pomme de terre goûte simplement la pomme de terre devraient aller une fois sur le domaine Obere Wanne pour découvrir la multitude de goûts des anciennes variétés.


Le monde moderne de la pomme de terre est divisé en types culinaires: vert pour celles à chair ferme, rouges pour les patates à frire et bleu pour les variétés farineuses. Il y en a des petites et des grosses, des précoces et des tardives. Mais le fait que les pommes de terre, certes bonnes à tout faire, peuvent avoir des goûts et des arôme incroyablement variés, ça, seulement peu de gens le savent. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant, car les variétés commerciales actuelles ne nous transmettent presque plus rien de cette diversité. Une pomme de terre, ça a le goût de pomme de terre: Dieter Weber et Nadia Graber, de la ferme Obere Wanne à Liestal, dans le canton de Bâle-Campagne, en étaient encore convaincus il y six ans. Jusqu’à ce qu’ils fassent leurs premières expériences avec d’anciennes variétés de patates de l’Albulatal. «C’était comme si nous mangions des pommes de terre pour la première fois», raconte Dieter Weber. Et hop, en route pour une nouvelle passion! Le même hiver il a acheté des plantons de plein de sortes de pommes de terre pour démarrer sa première saison dédiée à ces tubercules.

Des récoltes aussi rares que les variétés

Cet agronome a vite compris que des variétés comme Parli, Baselbieter Müsli ou Rote Emma ne sont pas des raretés seulement pour leurs arômes, formes et couleurs: Au lieu de tonnes il a récolté des kilos, et au lieu de remplir des remorques de camion il a rempli quelques sacs. Ces anciennes variétés fournissent avec 20 à 100 kilos à l’are un rendement beaucoup plus bas que les variétés modernes. S’y rajoute le fait que de nombreuses variétés anciennes sont plus sensibles aux maladies que les nouvelles obtentions, ce qui provoque en agriculture biologique des fluctuations de rendement supplémentaires. Dieter Weber prend cela placidement. Et il en rit: «Alors que mes voisins piochent sur le tapis de l’arracheuse les pierres et les tubercules abîmés, nous, nous cherchons les pommes de terre parmi les pierres, la terre et les fanes.»

Ce paysan bio n’en apprécie que davantage ses récoltes. «Chez nous, le dimanche soir, il y a toujours des pommes de terre en robe des champs et du fromage», raconte-t-il.» Quand je vais à la cave pour chercher des pommes de terre, je me sens chaque fois comme au paradis.» Pouvoir choisir parmi cette richesse de goûts et d’arômes est à son avis un privilège inestimable.

Une Suédoise bleue et une Emma rouge

Ni lui ni sa femme n’ont encore réussi à élire clairement une favorite. Il y a par exemple Parli avec son caractère authentique, terreux et rebelle – les clients l’aiment aussi beaucoup. Une fois rissolée elle a un goût de châtaigne, quand elle est cuite à l’eau c’est un léger arôme d’artichaut qui ressort. Ou alors la Bamberger Hörnchen avec sa peau fine et son arôme corsé, et encore l’Acht-Wochen-Nüdeli avec sa chair tellement tendre. Dieter Weber a quelque chose à raconter sur chaque variété. Par exemple au sujet de la Blaue Schweden, qui a produit la Blaue St. Galler après un croisement avec une variété locale du Prättigau, et dont le goût reste toujours supérieur à celui de sa descendante devenue célèbre depuis lors. «La chair de la Blaue Schweden est plus ferme et son goût possède un peu de la douceur des marrons», dit-il en coupant un de ces tubercules bleus et ronds. «Contrairement à la Blaue St. Galler, sa chair perd à la cuisson un peu de son intense couleur bleue. Mais cette couleur revient quand la pomme de terre se refroidit.» Les pommes de terre à peau rouge ont par contre presque toujours une chair jaune. Il n’y a que la Rote Emma qui présente un tubercule marbré d’un rose intense. Dieter Weber saisit ensuite une pomme de terre ovale et lisse à la pelure rouge. «C’est marrant, nous vendons Rote Emma surtout à Lorraine, un quartier plutôt alternatif, étudiant et ouvrier de la ville de Berne», dit-il en riant. Le nom des variétés est d’ailleurs souvent décisif quand les clients doivent en choisir quelques-unes parmi la grosse vingtaine à disposition. Il y a des aînés qui ont eu la larme a l’œil quand ils ont découvert l’Ackersegen, qui n’est pourtant pas une variété spectaculaire. «Il m’ont alors raconté comment ils avaient ramassé de cette pomme de terre dans un terrain de football à l’époque du Plan Wahlen ou comment ils en mangeaient tous les jours à la maison – jusqu’à ce que la Bintje nous arrive des plaines de Hollande et enterre le plaisir gustatif de la pomme de terre.» Les Bâlois préfèrent quant à eux la Baselbieter Müsli, et l’Acht-Wochen-Nüdeli est quant à elle beaucoup moins bien vendue sous son nom français, La Ratte d’Ardèche.

Une mauvaise année pour les pommes de terre

Cette année cependant, on ne trouve depuis fin octobre plus grand-chose de toute cette diversité de noms, de couleurs et de formes produite par la ferme Obere Wanne. Il n’y a dans la cave de la vieille bâtisse paysanne plus que quelques caissettes de la plupart des variétés – pour les plantations de l’année prochaine. «La sécheresse a mis les pommes de terre à mal», explique Dieter Weber. «Nous avons souvent dû fouiller à la main dans la terre pour y trouver les rares tubercules de cette année.» Ces petites quantités se sont tellement bien vendues en même temps que les courges qu’il leur faut maintenant décevoir de nombreux clients. «D’un côté c’est dommage», déplore Dieter Weber, «mais d’un autre point de vue cela nous apprend, à nous et à nos clients, que tout n’est pas forcément disponible tout le temps et que c’est parfois la nature qui nous dicte ce qu’il y a ou pas à manger.» Cela pourrait donc nous apprendre à considérer de nouveau les denrées alimentaires pour ce qu’elles sont en fait: un cadeau de la nature, des délices incommensurables.

Et même si quelques clients ont été très fâchés parce qu’ils ne recevaient plus d’Acht-Wochen-Nüdeli, aujourd’hui plus personne ne doit souffrir de la faim à cause d’une mauvaise récolte de pomme de terre. Pas comme à l’époque où Parli et Vitterlotte Noire étaient à leur apogée. À l’époque où le monde de la pomme de terre n’était pas encore limité au vert, au rouge et au bleu – mais où il y avait une diversité presque infinie de couleurs, de formes et de goûts.


Portrait

 


Dieter Weber et Nadia Graber cultivent la ferme Obere Wanne en septième génération – mais de manière complètement différente de leurs ancêtres. Sa position dominante en banlieue de Liestal fait de la ferme un lieu d’excursion apprécié par les familles et un véritable paradis pour les amateurs de raretés. Tout ce que le couple de paysans bio fait est pensé pour cette clientèle: le marché printanier des plantons de variétés ProSpecieRara qui est maintenant connu loin à la ronde, le labyrinthe dans le maïs, la place de jeux, les près de 120 variétés de courges en automne, le paradis des fleurs où on peut cueillir soi-même ses bouquets, mais encore l’offre saisonnière de fruits, de légumes et d’œufs de la ferme. Et bien entendu la vingtaine d’anciennes variétés de pomme de terre.

www.oberewanne.ch
 

 



80 variétés de pomme de terre «sauvées»


Depuis que la pomme de terre a été importée d’Amérique du Sud au 16ème siècle, d’innombrables variétés de tubercules se sont développées au fil des générations. L’organisation ProSpecieRara a ainsi trouvé rien qu’en Suisse 80 variétés de pomme de terre qu’elle s’attache à conserver. Vu que les pommes de terre sont extrêmement sensibles aux virus qui leur sont transmis en plein air par les pucerons, ProSpecieRara a abandonné la culture conservatrice dans les jardins privés. C’est maintenant grâce au soutien de l’État que les anciennes variétés sont préservées en conditions contrôlées. Mais tous ceux qui veulent augmenter la diversité des pommes de terre de leurs jardins le peuvent bien sûr toujours, car ProSpecieRara fournit au printemps à ses donateurs des plantons de quelques variétés de pomme de terre – et la ferme Obere Wanne de Liestal continue de vendre des plantons prégermés soit directement à la ferme soit par envoi postal.(www.prospecierara.ch / www.oberewanne.ch)

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