Pierluigi Zanchi, TiGusto: «L’avenir passe par une alimentation essentiellement végétale…»

06. novembre 2018




Pierluigi Zanchi s’intéresse au tofu depuis 40 ans. Pionnier du bio, cuisinier et enseignant, il produit tofu, seitan et condiments issus de l’agriculture locale et biologique au Tessin.


Cuisinier, enseignant, politicien vert et entrepreneur, Pierluigi Zanchi, vous êtes aussi un des pionniers du bio au Tessin. Comment vous êtes-vous intéressé au tofu, à une époque où le sujet n’était pas encore d’actualité?

J’ai suivi un cursus de cuisinier classique, avec une spécialisation en diététique, suivi d’un diplôme de technicien en nutrition à Tunis. A mon retour d’Afrique, en 87, l’idée était de me lancer dans l’enseignement et le conseil en nutrition ; j’ai fait un stage à l’hôpital, avec un mémoire sur le tofu, dans l’idée d’obtenir une équivalence de mon diplôme. Voici 40 ans, on ne trouvait pas de tofu, sinon industriel et médiocre. J’ai commencé à en fabriquer pour ma propre consommation dans les années 80. Là-dessus, j’ai travaillé dans un resto macrobiotique à Lausanne et commencé à donner des cours de cuisine. Au fond, je n’avais pas besoin d’une équivalence pour travailler dans mon domaine et je me suis décidé à lancer mon propre tofu.

TiGusto, votre «laboratoire d’artisanat alimentaire» a commencé très modestement…

J’ai démarré ma petite entreprise le 1er avril 1988 avec un capital de 30 000 francs et ce n’était pas une blague… Pour gagner ma vie, j’ai continué à enseigner la cuisine et la diététique, notamment aux familles, et à proposer des formations aux restaurateurs. Petit à petit, j’ai pu augmenter ma production et agrandir la structure. Nous avons déménagé à Gerra Piano, entre Locarno et Bellinzone, et avons aujourd’hui sept collaborateurs. Nous produisons désormais du tofu, frais ou pasteurisé, et du seitan à base d’épeautre suisse, ainsi que divers condiments, des bouillons végétaux et des sauces tomate – le tout artisanal, local et bio.

Comment le marché du tofu évolue-t-il - on imagine une forte croissance?

Le tofu suscite de plus en plus d’intérêt, les nouvelles générations n’ont pas les préjugés de ceux qui les ont précédées. Les consommateurs sont mieux informés que leurs parents. Et les chefs ont découvert ses qualités de produit neutre et facile à travailler. On peut l’introduire graduellement sans bouleverser son alimentation et il permet de réaliser de nombreuses recettes légères, sauces ou desserts, afin d’abaisser les quantités de gras et de cholestérol, tout en atteignant le taux de protéines idéal.

Votre société TiGusto reflète cette croissance de la demande?

Nous avons beaucoup construit, investi au fil des ans 700 000 francs dans l’entreprise. Si le marché s’est beaucoup développé, nous n’avons pas pour objectif une croissance effrénée. Ce serait un non sens de faire du bio en grand pour obliger ensuite de petits artisans à fermer. Le bio a vocation à être local et il serait absurde de rajouter, par exemple, des frais de transport.

Votre engagement est aussi éthique?

Je ne parle pas de décroissance mais plutôt de croissance heureuse avec d’autres valeurs, éthiques et humaines, qui font défaut aujourd’hui. Ainsi, nos collaborateurs ont des horaires adaptés à leurs souhaits et à leur vie familiale. Nous compensons nos émissions de CO2 en contribuant via Myclimate à des projets de reforestation, etc.

Et qu’en est-il de la production de soja bio au Tessin?

A l’époque où je me suis lancé, on commençait à en produire, mais le problème tenait au tri et au nettoyage. Faute de machines, j’ai dû me fournir en Italie et en France, les premières années. Aujourd’hui, une dizaine d’agriculteurs bio produisent du soja au Tessin, à partir de semences bio, indigènes.

Vous êtes aussi à l’origine de Lortobio, quel est ce projet?

C’est un projet de potager communautaire (Lortobio), sur une parcelle de 2500 m2 gérée et exploitée collectivement, sans eau ni pétrole, sans labourer et sans engrais, avec seulement du compost. On a renoué avec des pratiques anciennes grâce à la technique moderne, telle la faucheuse équipée de batteries solaires pour montrer qu’on peut cultiver des espaces urbains en bio et nourrir plusieurs personnes avec un quart d’hectare.

Trouve-t-on vos produits en dehors du Tessin?

Nous vendons 99% de nos produits localement : cela représente 25 à 26000 kilos de tofu artisanal par an, dont 80% est pasteurisé, le reste frais. C’est beaucoup pour un canton de 350 000 habitants. Sinon, j’ai toujours quelques commandes de restaurants et de privés qui apprécient particulièrement nos produits : à partir de quelques kilos, nous expédions les commandes en Suisse.

Comment fabrique-t-on le tofu et le seitan?

Les fèves de soja sont mises à tremper une nuit dans l’eau puis lavées, ensuite elles sont moulues à l’aide d’une meule de pierre, puis cette purée est délayée à l’eau froide et filtrée, afin de séparer la pulpe du liquide - le lait de soja. On alors fait cailler le lait de soja avec du nigari, c’est à dire du chlorure de magnésium extrait du sel marin, le seul ingrédient importé du Japon. Quant au seitan, il est issu de farine d’épeautre, qu’on pétrit avec de l’eau comme pour faire une pâte à pizza. On fait une boule, qui est ensuite lavée à l’eau froide pour enlever l’amidon. Il reste la part protéique, que nous apprêtons et assaisonnons en boulettes, qui seront cuites au bouillon.


Interview de Veronique Zbinden


Informations suppémentaires: www.tigusto.ch

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