«La biodiversité doit faire partie des cultures.»

10. mars 2020



Bruno Martin est considéré comme un pionnier du vin bio, et ce, pas uniquement dans la région du Seeland bernois. Ce vigneron peu conventionnel se bat depuis 25 ans pour la biodiversité dans les vignes. C’est un véritable passionné de la faune et de la flore. Ses valeurs sont nobles, ses vins ont été plusieurs fois primés.


Elle fait partie intégrante de l’ADN de l’agriculture biologique. Que signifie la biodiversité pour vous?



Un équilibre écologique stable, une interaction entre les auxiliaires, les parasites et les surfaces de compensation. Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, la biodiversité ne vient pas s’ajouter à autre chose dans le sens: le champ est ici et la diversité des espèces est là. L’aménagement d’une surface de compensation à côté de deux hectares de pommes de terre, cela est loin d’être suffisant. Ce qui est essentiel, c’est l’interaction au sein même des cultures. Les vignobles en sont un excellent exemple.

Pourquoi précisément les vignobles?



La viticulture est souvent pratiquée là où l’agriculture n’est pas ou peu appropriée. Par exemple, dans les zones difficiles d’accès, telles que les pentes abruptes, où le travail est fastidieux car – comme ici à Gléresse – les terrains ne sont pas adaptés aux tracteurs et aux machines. Dans les vignes, des structures appropriées telles que têtes rocheuses, steppes rocheuses, haies, surfaces rudérales ou chênaies pubescentes sont déjà présentes. La biodiversité fonctionne bien ici car elle fait partie de la culture.

À quoi pensez-vous en particulier?



Aux églantiers, lierres, buissons, haies, arbres haute-tige, tas de pierres. Ils fournissent des abris et de la nourriture aux belettes, serpents, lézards, oiseaux, papillons et insectes. Notre travail a également un impact sur la diversité invisible présente dans le sol. Selon Ueli Remund, 245 espèces vivent dans un vignoble. Dans un champ de maïs, vous n’en trouvez guère plus de deux, avec un peu de chance et de la végétation, peut-être entre 20 et 30. Lorsque j’ai débuté, je voulais avoir dans mes vignes autant d’espèces que possible et un équilibre écologique stable. Dès 1981, j’ai arraché les vignes, arrêté de pulvériser et ç’a été un échec total. L’acariose, l’araignée rouge et l’acarien jaune m’ont alors ouvert les yeux. Mais une fois que suffisamment d’espèces se sont établies, cela fonctionne. Aujourd’hui, je sais qu’il n’est pas nécessaire d’en avoir beaucoup. Et tout doit se passer au sein des cultures, pas en dehors. Sinon, nous ne pourrons pas renoncer aux produits dont nous ne voulons plus dans l’agriculture biologique.



Qu’est-ce qui nuit à la biodiversité?



L’ignorance, la facilité et l’habitude de continuer tout simplement à appliquer ce qu’on a appris. Au début des années 90, j’étais le cinglé d’écolo, ici. Mes vignes n’étaient vraiment pas belles à voir, au début. Seule ma conviction que j’étais sur la bonne voie et que le système allait s’équilibrer m’a donné l’assurance nécessaire pour continuer. Sinon, j’aurais craqué. Pourquoi se contenter d’un rendement peu élevé quand il pourrait être plus beaucoup important? La société et l’environnement exercent une pression énorme. C’est pourquoi, rares sont ceux qui l’ont fait à l’époque.

Que tout le monde ne s’y mette pas porte-t-il préjudice à la biodiversité?



Oui. Absolument. En agriculture biologique, nous devons faire évoluer notre cahier des charges. Nous ne pouvons pas continuer à pulvériser du poison pour les abeilles et à parler de culture biologique. Les légumes peuvent être remplacés chaque année, mais les vignes ont une durée de vie de 25 ans. Nous ne sommes toujours pas parvenus à dépasser 1,5 % de vignes sans pesticides. Nous ne sommes que trois ou quatre exploitations en Suisse à avoir plus de 60 % de nos vignobles composés de cépages résistants aux champignons, les «PIWI». Cela va mettre encore 25 ans avant que je parvienne à 100 %. J’aurai alors 85 ans! C’est bien, mais le consommateur doit lui aussi jouer le jeu.

Comment peut-il contribuer à davantage de biodiversité?



Cette valeur doit être importante à ses yeux, il doit l’encourager, acquérir des connaissances, dire aux vignerons qu’il ne veut boire que du vin bio. Sinon, dans certains cantons, nous allons attendre encore cinquante ans pour que les choses changent vraiment. La responsabilité personnelle du consommateur est indispensable et elle a un poids indéniable – en ce qui concerne l’ammoniac, le nombre d’animaux ou la pollution des eaux. Tout cela est également lié à la biodiversité. Et à notre qualité de vie. S’il est vraiment important pour les consommateurs de continuer à boire l’eau du robinet au cours des 25 prochaines années, alors ils doivent s’intéresser à la biodiversité.

Les surfaces consacrées à la biodiversité requièrent-elles beaucoup d’entretien?



Elles doivent être entretenues, oui. Mais il est parfois bon de s’écarter un peu du perfectionnisme suisse. Si quelque chose n’est pas fait, c’est l’occasion de découvrir de nouvelles choses. Dans la biodiversité, notre raison humaine est souvent dépassée et constitue même un obstacle. Nous avons planté plus de 60 % de vignes PIWI, lesquelles n’ont plus besoin de certains produits phytosanitaires. C’est du concret et c’est payant sur le long terme. De nombreuses régions qui ont, pour ainsi dire, le monopole en matière de viticulture en Suisse auraient tout intérêt à étudier de près un tel système. Et j’ose même prétendre que nous sommes aussi mieux lotis économiquement que l’agriculture intensive… observer l’épeire fasciée, les serpents, les lézards, les précieuses herbes sauvages et toute cette vie qui bouillonne dans les vignobles et constater que la nature est harmonie, pour moi, cela est beaucoup plus important que le seul calcul économique.

Avec les cépages PIWI, les produits phytosanitaires ne sont plus nécessaires.



Dans mon exploitation, ces produits sont désormais bannis. Nous acceptons de subir des pertes. En ce qui concerne les tempêtes de grêle, par exemple, nous avons constaté que les vignes touchées donnaient un vin plus fort et plus goûteux l’année suivante. La robustesse des plantes dépend fortement du rendement, la plante peut constituer davantage de réserves lorsque le rendement est moindre. Nous ne pourrons jamais éradiquer entièrement les maladies, mais il existe peut-être des moyens de renoncer définitivement au cuivre grâce à des substances naturelles. Il y aurait aussi des choses à dire sur les toits en cuivre...



Qu’en est-il du cuivre, chez vous?



En 1990, mon objectif était de ne plus utiliser de cuivre trente ans plus tard. J’ai commencé par planté des plantes illégales – les cépages Bianca et Johanniter, bien que le rendement soit peu élevé. C’est le consommateur qui m’a freiné. Personne ne connaît ce vin. Il est pourtant excellent et robuste. Autoriser quelque chose qui fournit peu de rendement, ce n’est pas facile, mais c’est efficace.

Où Bio Suisse pourrait-elle être plus stricte en matière de biodiversité?



Il existe aujourd’hui des cultures qu’il serait bon de supprimer car elles requièrent sans cesse des autorisations exceptionnelles. Il n’est pas acceptable de considérer comme bio des produits déjà vendus auparavant dans n’importe quel magasin. Ce n’est pas possible. Tout ce qui a été traité avec du poison pour abeilles doit disparaître – définitivement. L’essentiel est d’informer et de transmettre des connaissances. Cela permet de fournir aux producteurs la sécurité nécessaire pour prendre des risques et de les sensibiliser davantage. Si le consommateur connaît et comprend la valeur d’un raisin provenant d’une vigne qui n’a pas été traitée au cuivre et qu’il supporte le prix de cette qualité, les producteurs pourront également supporter plus facilement une perte de rendement de 15 %. La pression diminue alors de devoir produire une certaine quantité chaque année pour pouvoir payer ses impôts. Dans le système actuel, nous ne pouvons pas, en culture biologique, serrer davantage la vis. Des reconvertis affiliés à une coopérative ou travaillant dans certains cantons ne sont pas autorisés à produire certains cépages qui seraient pourtant bénéfiques pour la biodiversité.

Quelle est l’influence de la biodiversité sur la qualité de votre vin?



Si la vigne se porte bien, alors le vin est bon. La condition préalable est l’équilibre écologique, une terre saine avec des millions d’êtres vivants et une bonne infiltration de l’eau. Les poisons ne sont alors pas nécessaires. Et tout s’épanouit parfaitement. C’est la base indispensable pour disposer des nutriments appropriés et éviter l’apparition de carences. Bien sûr, il ne faut pas non plus commettre des erreurs dans la cave. Mes vins sont appréciés parce qu’ils sont le fruit d’un équilibre harmonieux et les gens semblent s’en rendre compte.

D’où vous vient cette passion pour la biodiversité?



De gens avec un grand cœur qui m’ont montré l’exemple, dont le style de vie me fascinait et qui ont su me transmettre leurs valeurs en seulement quelques mots. Surtout mes grands-parents et d’autres personnes âgées du village. Durant ma formation à l’école de viticulture de Wädenswil, Ueli Remund et ses travaux de recherche dans des vignobles végétalisés m’ont beaucoup inspiré. C’est peut-être aussi la tension dans laquelle j’ai grandi ici – entre un père qui, négociant en vins, plaçait le commerce et l’argent au premier plan, et la paix, la bonté, la sagesse de mes grands-parents qui m’emmenaient dans les vignobles quand j’étais enfant.


A suivre…


Bruno Martin, de Gléresse BE s’investit beaucoup en faveur de la biodiversité – en tant que vigneron, dans son exploitation, et depuis l’automne 2019, comme élu des Verts au Parlement cantonal bernois. Il fait quoi et comment? Nous voulons en savoir plus. Nous rendrons donc de nouveau visite à ce pionnier chevronné du vin bio et l’accompagnerons dans son élément à différents moments de l’année. Cette interview est la première partie d’une histoire en quatre épisodes sur l’interaction entre l’homme, la faune et la flore qui se déroule sur les coteaux du lac de Bienne depuis plus de 25 ans.

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