«Ce que nous faisons est de la science»

02. octobre 2019


Sélectionner un cépage résistant aux maladies ne prend que deux ans au pionnier suisse Valentin Blattner. En sortira-t-il une fois un vin? Ça, c’est les vignerons – et l’État – qui décident.

Vous sélectionnez des cépages résistants depuis 35 ans. Quand vous en développez un nouveau, par quoi commencez-vous?

Valentin Blattner: Par les ceps dans les vignes. Nous regardons d’abord quelles plantes présentent de bonnes résistances soit à l’oïdium soit au mildiou, à la pourriture noire, à la mélanose infectieuse etc. Les vignes sont contaminées artificiellement pour avoir des résultats. Mon vignoble est donc un peu isolé pour que les spores infectieuses n’aillent pas dans les vignes d’autres viticulteurs.

Qu’advient-il des plantes que vous trouvez intéressantes?

Nous étudions leurs résistances au niveau génétique. Les gènes trouvés sont comparés à une liste de résistances génétiques connues. Si nous trouvons des gènes que nous connaissons déjà, c’est bien, mais c’est beaucoup plus intéressant de ne rien trouver. Car il faut alors chercher quels autres gènes de cette plante pourraient être responsables de sa résistance. Cette recherche génétique est vraiment passionnante. On peut dire que c’est de la science. Ceux qui ne sélectionnent que sur la base de résistances connues, et il y en a, ne produisent que des variations sur des airs connus.


Une plante devrait-elle présenter plusieurs résistances?

Idéalement oui. Les champignons ne sont pas bêtes. Ils se développent continuellement et s’adaptent. Une résistance unique peut donc être brisée en quelques années. Un cépage devrait donc présenter une combinaison de plusieurs gènes de résistance, car plus nous mettons de bâtons dans les roues du champignon plus il a de la peine à déclencher une maladie.

Vous devez donc croiser des plantes. Comment cela se passe-t-il?

Nous commençons par castrer les fleurs, c.-à-d. que nous enlevons leurs anthères avec une pincette et que nous les fécondons avec le pollen d’une autre plante. Le plant est ensuite emballé pour que le vent et les insectes ne puissent pas apporter d’autres pollens. Quand les baies sont mûres, nous prélevons leurs pépins pour les semer et avoir de nouveaux ceps. Ici aussi nous regardons lesquels sont particulièrement résistants et nous les examinons. Ce processus peut se répéter plusieurs fois.

Mais vous devez bien une fois décider que c’est bon?

C’est juste. Quand nous avons trouvé une plante particulièrement résistante et vigoureuse, nous enlevons ses boutons pour les greffer sur les racines de cépages américains résistants. Tous les descendants auront donc les bonnes propriétés de leur mère et pourront être plantés dans la vigne.


Tout cela donne beaucoup de travail. Qui vous soutient?

Je travaille avec d’autres sélectionneurs, mais les plus importants sont les pépiniéristes et les vignerons qui cultivent, multiplient et vinifient ces nouveaux cépages, car ils décident lesquels ont une chance. Et bien sûr les consommateurs. Un cépage qui est résistant mais qui pousse mal et de donne pas un bon vin n’apporte rien.

Combien de temps faut-il pour lancer un nouveau vin?

Je peux développer un nouveau cépage en deux ans. Ça paraît court, mais cela repose sur 35 ans de sélection et de recherche sur des centaines de milliers de plantes. La phase d’essai chez les vignerons dure cinq ans. Viennent ensuite l’État et la bureaucratie. Cela peut durer jusqu’à vingt ans. Et nous ne recevons pas facilement le label AOP pour nos nouveaux cépages. L’appellation d’origine protégée est à la base réservée au Pinot noir et au Chasselas bien qu’ils nécessitent beaucoup de traitements. Les nôtres sont beaucoup plus respectueux de l’environnement. Cette discrimination nous force à créer notre propre label pour les vins sans résidus.


Pionnier de la sélection de cépages résistants
Valentin Blattner sélectionne et étudie depuis 1985 des cépages résistants aux maladies fongiques pour la viticulture suisse et étrangère. Il fait partie des pionniers de ces sélections et il est considéré comme une sommité internationale dans ce domaine. Une partie du travail de sélection de ce vigneron de 61 ans est effectué sur son domaine de huit hectares, le «Domaine Blattner» à Soyhières JU, où il a développé avec Silvia Blattner entre autres le célèbre cépage Cabernet Jura. Il dirige aussi des programmes de sélection en Espagne, en Allemagne, en France, au Canada et en Thaïlande, où il travaille notamment avec des cépages tropicaux.

Interview: René Schulte
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