«Notre travail doit continuer»

05. septembre 2019


Il a libéré sa place de chef dans la grande grange à semences et dans les champs de Feldbach avec vue sur le Lac de Zurich une année avant l’âge de la retraite. Pourtant, pas de doute: Le pionnier qui sème et recherche inlassablement pour notre avenir depuis des décennies reste à disposition aussi bien de la terre que de la communauté des sélectionneurs bio. Entretien avec Peter Kunz sur 35 ans de sélections céréalières.

Vous avez développé une des organisations leaders de l’agriculture biologique dans le domaine de sélection végétale. Sept pains bio sur dix vendus en Suisse sont faits avec la farine de vos variétés. La succession au sein de l’entreprise de 10 personnes est réglée, la société est bien établie. Et maintenant?

Ici, à Feldbach, je reste à disposition sur demande, mais je dirige aussi des ateliers, accompagne des projets en Italie, suis actif dans la formation, par exemple à Sekem en Égypte, écris des articles, m’engage pour le Fonds pour le développement des plantes cultivées (Fonds für Kulturpflanzenentwicklung). Il reste tellement à faire. J’aimerais notamment continuer de développer quelques idées autour de notre instrument de communication «Semer pour l’Avenir» pour impliquer des entreprises dans le financement de la sélection. C’est le point le plus important.


Le financement reste donc une question difficile?

Ce que nous avons est déjà bien, mais ça ne suffit de loin pas. L’étude «Saatgut als Gemeingut» (la semence est un bien commun, ndt.), à laquelle j’ai participé, le montre bien: La sélection bio doit être multipliée par vingt au cours des dix prochaines années! L’Europe réalise 50 milliards de chiffre d’affaires avec le bio. Un seul petit pourmille de cela suffirait pour faire avancer sérieusement la sélection bio dans toute l’Europe! Nous avons besoin de cet argent car de nouvelles méthodes d’ingénierie génétique arrivent. Et elles sont tout sauf une approche globale.

Qui serait?

L’ingénierie génétique modifie ponctuellement quelque chose qui a des conséquences de détail. Nous suivons une autre approche en nous posant la question suivante: Quelles plantes peuvent le mieux composer avec les données en présence comme le sol, le climat, l’emplacement etc.? Nous travaillons avec les conditions qui règnent dans un certain endroit et qui font partie d’un écosystème pour trouver les meilleures variétés pour l’agriculture biologique. Que ce soit ici, en Allemagne, en Italie ou dans le désert égyptien…


… pour ainsi dire reliés au sol…

Nous avons appris au cours des cinquante dernières années qu’il y a UN écosystème – et aujourd’hui on parle de changement climatique. Nous n’appréhendons cependant pas encore correctement cette globalité. Le plus grand défi est d’agir de manière cohérente. Nous essayons de le faire en biodynamie et dans la sélection. Le paysan fait au mieux quand il organise sa ferme en fonction des conditions données et de son intégration sociale. Notre manière d’y réfléchir scientifiquement détruit cela sans cesse si nous n’y prenons pas garde. Cette préoccupation ne cesse pas de me hanter. Nous devons apprendre à formuler et à clarifier les uns envers les autres quelles sont nos préoccupations. Et nous devons aussi nous entendre sur ce que nous entendons par agriculture biologique.


La GZPK a 35 ans: De quoi êtes-vous le plus fier?

D’abord du fait que nos variétés de blé soient cultivées par les praticiens, que toute la filière de création de valeur, du paysan au consommateur en passant par le meunier et le boulanger, soit satisfaite de la bonne qualité du pain. Je me réjouis ensuite que l’entreprise soit comme elle est et qu’elle fonctionne bien. La sélection est une œuvre à long terme qui demande des années de développement. On doit connaître les plantes. Je le remarque aussi avec ce passage de témoin: Il faut des années pour s’implanter correctement.

Sur quoi le pionnier que vous êtes se casse-t-il encore les dents?

Sur deux choses: Premièrement, la nécessité et l’importance de la sélection végétale biologique sont certes reconnues, mais nous autres sélectionneurs manquons encore des bases pour une certaine liberté d’action. Il se gagne beaucoup d’argent avec le bio, la scène bio est devenue superficielle, elle s’est diluée. Je ne ressens plus grand-chose de l’ambiance des redresseurs de torts de naguère. Les priorités et la motivation pour s’attaquer ensemble efficacement aux problèmes se sont déplacées. J’ai de la peine avec cette évolution.

La deuxième concerne la recherche de et sur la qualité. Nous devons la porter à un niveau plus élevé. Nous avons sélectionné des variétés de blé avec un caractère complètement différent de celui des conventionnelles. Elles sont bonnes – et même qualitativement meilleures. Quand on peut le montrer au champ, les gens peuvent le voir. Ce qui me préoccupe, c’est que cela doit ne pas être reconnaissable dans le produit lui-même. Nous n’avons pas encore réussi à communiquer sur la qualité de manière à ce que la recherche sur la qualité des denrées alimentaires s’empare de la question et que l’ensemble de la filière de création de valeur la rende plus visible.

Il peut se passer jusqu’à 20 ans depuis le premier croisement jusqu’à ce qu’une nouvelle variété soit établie sur le marché. Pourquoi cela dure-t-il si longtemps?

Nous travaillons selon la méthode classique et nous ne prenons pas de raccourcis en accélérant le rythme des générations. Pour une plante autogame comme le blé, le processus génétique qui suit un croisement dure la première fois environ sept ans. Ce n’est qu’ensuite que la lignée d’un épi peut être sélectionnée – si elle donne toujours la même chose. Je suis resté fidèle à cette méthode. Car le blé est une plante qui doit se lier de manière extrêmement forte avec le sol.


Il en va autrement pour les légumes ou pour une plante à racines superficielles comme le maïs. Pour le sélectionneur, chaque année représente une expérience valable. Il ne s’agit pas seulement de trouver les meilleures plantes et d’en faire une variété – toutes les autres, celles qui sont éliminées, font aussi partie du capital d’expérience. Tout cela doit croître, il faut du temps pour apprendre à connaître une plante jusqu'à ce qu’on remarque qu’elle est vraiment bonne. Or on met aujourd’hui sur le marché des variétés qui passent par l’homologation officielle après seulement quatre ans de développement. Nous faisons chaque année des croisements, mais nous apprenons toujours de nouveau à connaître les plantes d’une autre manière. Cette expérience de fond est le véritable capital du sélectionneur.

Qu’est-ce qui caractérise alors une bonne variété?

Il est important dans la sélection qu’une plante pousse chaque année dehors en pleine terre, qu’elle soit soumise aux conditions réelles, qui peuvent être extrêmes, qu’elle interagisse avec son environnement. Nos plantes passent au maximum du site de Feldbach à celui de la Rheinau, mais elles poussent toujours dans une ferme biodynamique. Cela constitue aussi une partie de leur sensibilité variétale: On ne les transfert pas d’un lieu ou d’un pays à l’autre, elles ne poussent pas une fois dans la terre et une fois sous serre ou dans un pot. C’est essentiel. Je n’ai pas de preuves irréfutables à ce sujet, mais je suis convaincu que c’est comme ça. Beaucoup de variétés conventionnelles ont l’air bien au début, mais après cinq ans elles ont déjà disparu. Notre variété principale, Wiwa, est toujours là après quinze ans, elle a fait ses preuves, les paysans la connaissent, elle est saine. Plus une variété est bonne plus elle perdure longtemps.

L’agriculture biologique a-t-elle besoin de variétés qui lui sont propres, et particulièrement fortes, afin d’être indépendante de la sélection conventionnelle?

C’est déjà le cas pour des aliments de base comme les céréales. Pour les légumes nous sommes toujours en train d’en discuter, car cela se présente différemment pour les cultures. Et ici les grandes multinationales semencières continuent d’intervenir. La question qui se pose est celle-ci: Pourquoi de si nombreux consommateurs bio continuent-ils de vouloir des légumes standardisés alors qu’ils ne tiennent pas la route quand on fait des comparaisons gustatives, pourquoi ne réussit-on pas à convaincre les consommateurs d’opter pour une véritable qualité bio…


Quelle contribution les consommateurs pourraient-ils apporter?

Ils devraient demander d’où viennent réellement les carottes ou les brocolis – pas seulement où ils ont poussé, qui les a cultivé, mais aussi qui les a sélectionnés. Car en achetant leurs légumes ils paient aussi Monsanto ou Syngenta, qui encaissent des montagnes d’argent sur le dos des paysans et des maraîchers mais n’en réinvestissent qu’une petite partie dans la sélection variétale. La plus grande partie va aux actionnaires.

Quels critères sont déterminants pour décider qu’une nouvelle variété doit être créée?

Pour les céréales nous avons besoin de variétés stables qui donnent chaque année un bon rendement et une récolte saine et de bonne qualité. Les critères changent au fil des ans: tolérance à la canicule, au manque d’eau, aux maladies, digestibilité. En tant que sélectionneur, je dois veiller à choisir les bons parents pour que je puisse correspondre à ces critères. Par exemple, la force des racines d’une plante a une influence en cas de sécheresse, la maturité tardive sur la tolérance à la chaleur. En tant que sélectionneur, je dois connaître la constitution de base d’une plante et savoir ce qui est déterminant pour qu’elle pousse bien et puisse s’en sortir même en cas de situations extrêmement humides comme celles que nous avons eues par exemple en 2016.


Où se situe à votre avis le plus grand besoin d’intervention?

Nous devons veiller à ce que davantage de gens puissent s’occuper de la question de la sélection. Il ne suffit pas de réussir seulement pour le blé. Nous devons avoir davantage d’échanges, améliorer nos collaborations. Il faut pour cela une communauté de sélectionneurs. Nous devons apprendre à décrire notre travail et à le transmettre, car il doit continuer. La sélection n’a rien d’un job à court terme. Chaque année qui passe nous lie davantage à elle. C’est comme pour un enseignant: quand il est vraiment bon, il reste à son poste et devient toujours meilleur et plus sûr avec les années.

À propos de collaboration: comment cela se passe-t-il dans la recherche semencière?

Nous avons trouvé en Suisse un langage commun entre les conventionnels et les bio. À certains niveaux. On doit réellement avoir des échanges, se rendre visite les uns les autres, prendre du temps. Nous avons justement des choses importantes à faire voir dans les champs ou les jardins de sélection, mais le temps manque souvent parce que chacun est occupé par son propre travail.



Et la situation financière ne rend pas les choses plus simples puisque chacun doit lutter pour en obtenir sa part. Les relations amicales entre concurrents sont difficiles à préserver en cas de financement précaire. Car tout va continuellement plus loin quand un processus de sélection est bien engagé. On cherche pendant des années les meilleurs individus de chaque génération et on les ressème l’année suivante. Et aucune année n’est semblable à l’autre, parfois c’est beaucoup, parfois c’est moins. Je ne peux donc pas semer 20 % de moins ou exclure deux années parce que j’ai 20 % d’argent en moins. Il faut de la continuité – aussi dans le financement.

Que souhaitez-vous pour l’avenir?

De la compréhension pour la sélection – pas seulement de la part des consommateurs, mais chez tous les partenaires de la filière de création de valeur qui travaillent pour que l’approvisionnement de nos populations soit mieux assuré. Compréhension pour ce dont la sélection a besoin et pour ce qu’elle fournit. Se pose la question suivante dans contexte: Est-ce qu’une entreprise semencière travaille réellement dans le sens de l’agriculture biologique et est-elle utile à tous les partenaires? Les grands marchands et transformateurs n’auront cette compréhension de la scène bio que si les consommateurs exigent qu’ils soient transparents. Un grand pas serait alors franchi. Il en va ici de même que pour le secret bancaire.


Les jalons du chemin de Peter Kunz
  • 1976

    L’idée d’une sélection propre à l’agriculture biologique naît à Göppingen D chez le pionnier bio Ernst Weichel.
  • 1981

    Collaboration à l’Agroscope Reckenholz-Zürich.
  • 1984

    Premiers croisements en travail à temps partiel, et en parallèle développement d’un projet de sélection indépendante.
  • 1992

    Fondation de la société GZPK.
  • 2000

    Transmission de la société à l’association d’utilité publique pour le développement des pantes.
  • 2018

    Transmission de la direction de la GZPK à Monika Baumann et à Herbert Völkle.
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