Des solutions au dilemme de l’abattage des poussins?

30. mars 2021

Les sujets désagréables ne doivent pas être éludés. En tant qu’association bio suisse, nous voyons d’un mauvais œil la mise à mort des poussins dans la filière de production d’œufs. Bien que le déchiquetage des poussins soit interdit par la loi depuis 2019, les poussins mâles sont euthanasiés au gaz dès leur l’éclosion. Bio Suisse est en quête de solutions. Notre interlocuteur est Adrian Schlageter, chef de projet «Bien-être animal» chez Bio Suisse.

Adrian Schlageter, certains consommateurs ne comprennent pas pourquoi les poussins sont mis à mort. Quelles sont les raisons de ce malaise?
L’abattage des poussins est un problème mondial. Il trouve son origine dans les progrès de l’élevage et dans les races à haut rendement: vous avez soit des poulets d’engraissement pour la production de viande, soit des poules pondeuses pour la production d’œufs. Hybrides de ponte ou hybrides d’engraissement: ces deux types présentes des caractéristiques et des spécialités différentes, en ce sens qu’ils sont spécialisés pour la production et le rendement, chacun dans son domaine.
Les poulets d’engraissement ou «poulets de chair» développent rapidement une grande quantité de viande, les mâles et les femelles étant exploités au même titre. Pour la production d’œufs, la situation est différente: ils ne développent pas autant de chair, mais ils pondent beaucoup d’œufs. Une femelle pond plus de 300 œufs par an. Les mâles, quant à eux, ne peuvent ni pondre d’œufs ni développer de la viande. Pour les agriculteurs, l’élevage des poussins mâles n’est donc pas rentable. C’est pourquoi les poussins mâles sont triés et mis à mort immédiatement après l’éclosion. La rentabilité et l’éco efficacité ont conduit à la pratique de l’abattage des poussins.

Adrian Schlageter

L’un des objectifs de Bio Suisse est de jouer un rôle de pionnier en matière de bien-être animal. Quelle est la position de Bio Suisse sur l’abattage des poussins?
Il est vrai que l’estime et le respect que nous réclamons à l’égard des animaux sont battus en brèche par l’abattage des poussins mâles. C’est pourquoi, en tant qu’association bio suisse, nous mettons les bouchées doubles pour changer cette situation. Nous nous sommes fixé pour objectif de trouver des solutions. C’est précisément sur ce projet que je travaille depuis novembre 2020, à un poste nouvellement créé. Concrètement, nous souhaiterions présenter à nos délégués un plan de sortie progressive de l’abattage des poussins d’ici l’automne 2021.

Comment éviter la mise à mort des poussins dans la filière de production d’œufs? Quelles sont les approches adoptées dans le plan de sortie progressive de Bio Suisse?
Il y a généralement deux moyens d’éviter l’abattage des poussins: soit on élève les poussins déjà éclos, soit on évite carrément et complètement l’éclosion des poussins mâles. Cela passe par un processus dit «in ovo», c’est-à-dire par une détection précoce du sexe dans l’œuf. Des recherches intensives sont menées sur différents processus – depuis, par exemple, l’endocrinologie, c’est-à-dire la différenciation des embryons de poussins mâles et femelles par la mesure des hormones sexuelles, jusqu’aux méthodes de génie génétique, en passant par la spectroscopie, c’est-à-dire la mesure des différences de pigmentation des plumes en fonction du sexe. Les technologies disponibles à ce jour commencent à un stade de développement embryonnaire où, selon les connaissances scientifiques, le ressenti de la douleur est déjà possible. Finalement, nous sommes confrontés à un problème similaire à celui de l’abattage des poussins peu après leur éclosion.
En notre qualité d’association bio, ces processus nous placent donc face à des problématiques majeures: notre cahier des charges bio ne permet pas à l’heure actuelle la détermination du sexe dans l’œuf. Le Bourgeon revendique par ailleurs un parti pris très fort, à savoir celui d’une production sans OGM. Nos approches vont donc clairement dans le sens de l’élevage des frères coqs ou de poules à deux fins.

Quelle est la différence entre l’élevage des frères coqs et l’élevage de poules à deux fins?
Il s’agit de races différentes. La poule à deux fins est une sorte de compromis. Ces animaux produisent un peu plus de viande que la pondeuse hybride, en revanche ils ne sont pas aussi productifs et pondent donc moins d’œufs.
L’élevage des frères coqs consiste à élever les poussins mâles de lignées de ponte à haut rendement. Comme nous l’avons déjà évoqué, cet élevage consomme beaucoup de ressources et nécessite des subventionnements croisés via la production d’œufs. Une autre problématique majeure réside dans le développement et le positionnement des produits fabriqués à partir de viande de frères coqs. La viande de poulet de chair issus de frères coqs diffère de la viande de poulet conventionnelle en termes de texture et de goût. L’objectif doit être de positionner les produits fabriqués à partir de viande de frères coqs comme des produits de qualité premium. La sécurité des débouchés est essentielle pour que les agriculteurs bio se lancent dans l’élevage des frères coqs. La restauration collective peut être citée comme exemple. Un exemple positif est celui de l’hôpital cantonal des Grisons. Mais nous nous efforçons également de trouver des solutions avec le commerce de détail.

Si les consommateurs n’acceptent plus que l’on «mette à mort des poussins», quelles sont les alternatives sur le marché?
Il existe déjà des initiatives menées par la branche, par exemple la poule à double fin de Coop ou encore le label «Hahn im Glück» qui certifie les œufs Demeter. On peut également citer lesœufs «Respeggt» de Migros, qui sont basés sur le processus de sélection hormonale dans l’œuf décrit précédemment. Toutefois, ces derniers ne sont pas des œufs bio. D’une manière générale, il est possible de se renseigner pour savoir si les œufs issus de l’élevage des frères coqs sont également disponibles en vente directe. Malheureusement, cela ne concerne actuellement qu’une poignée de fermes bio en Suisse.

En quoi consiste votre travail concrètement? Comment augmenter la part de l’élevage des frères coqs dans la filière bio?
La mise en place d’un réseau de qualité au sein de la branche est un impératif pour l’exercice de mon activité. À cette fin, je m’efforce de doper les échanges avec tous les acteurs de premier plan. La question de la création du savoir revêt une grande importance, et j’accomplis de gros efforts de communication au sein de l’association. Nous nécessitons et réclamons l’engagement de tous les acteurs de la branche. Nos producteurs bio sont le socle de cette démarche; les producteurs d’œufs bio et les éleveurs de races d’engraissement doivent être impliqués au premier chef dans ce processus. Une partie de mon travail consiste à informer et à recueillir les remontées d’information des organes et des groupes spécialisés concernés. L’objectif est d’obtenir un large soutien de la base avant de communiquer à l’extérieur.
Par ailleurs, des discussions sont en cours avec des commerçants de détail pour la commercialisation et le positionnement des produits issus de frères coqs via leur réseau.
Nous entendons élaborer des solutions concrètes avec tous les acteurs de la branche, deux grands workshops sont d’ailleurs prévus à cet effet. Nous étudions les différentes étapes de la chaîne de valeur.

Quelle est votre vision pour les trois à cinq prochaines années?
D’ici là, la mise à mort des poussins ne sera plus pratiquée du tout pour les produits commercialisés sous la marque Bourgeon. Nous voulons donner à l’animal la valeur qu’il devrait avoir d’un point de vue éthique.
Le poussin ne mérite pas de mourir dès sa naissance.
Mon principe est le suivant: le plus vite possible, mais dans une démarche la plus durable possible. L’abandon progressif de l’abattage des poussins doit être non seulement ambitieuse, mais aussi réaliste. Mon souhait, c’est de se focaliser davantage sur les opportunités que sur les problèmes.

Carte d’identité

Adrian Schlageter est titulaire d’un doctorat en biologie de l’Université de Bâle. Il a ensuite travaillé dans la recherche pendant plusieurs années avant de rejoindre Coop, où il a passé près de sept ans, d’abord comme Brand Manager pour les labels de durabilité, puis en tant que responsable des projets d’approvisionnement durable, et enfin en qualité de chef de produits œufs et produits laitiers. En avril 2020, Adrian Schlageter a rejoint Bio Suisse en tant que chef de produits œufs, volaille et poisson, où il a pu nouer des contacts importants avec les groupes spécialisés. Depuis octobre 2020, il est chef de projet «Bien-être animal» au sein du nouveau département «Projets stratégiques et recherche» de Bio Suisse.

Maya Frommelt en entretien avec Adrian Schlageter
Images: Michael Anfang via unsplash, Archive Bio Suisse, Depositphotos

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