«Je crois que les gens en ont marre du sucre caché partout»

03. juillet 2019


Esquimaux à la mexicaine d’un munichois installé à Lausanne – l’histoire d’Hanno Schatz et de sa petite fabrique artisanale de glaces bio fait partie de ces parcours de vie dont la tournure aurait pu être bien différente. Après des études d’économie et de marketing à Berlin, Paris et Londres, l’allemand est attiré par la Suisse. Il travaille cinq ans chez Nestlé au service marketing et développement de produits. Mais ce travail ne le rend pas entièrement heureux: «J’ai beaucoup appris pendant cette période mais la philosophie de l’entreprise n’était pas du tout en accord avec mes valeurs», dit-il. Cela le mène à la limite du burnout. Hanno Schatz démissionne pour faire le tour du monde avec sa femme Anaïs. C’est au cours de ce voyage qu’il réfléchit à développer son propre projet.

Le 1er mai 2018 c’est le grand jour. Sous le nom de «Kalan Paletas», sur un stand à la Place de la Riponne à Lausanne, il se lance dans la vente d’esquimaux développés par ses soins. Il nous raconte dans son interview comment il y est parvenu.


Monsieur Schatz, des esquimaux à la mexicaine – comment naît une telle idée?

Hanno Schatz : Au départ, je suis passionné de cuisine et de voyages. Anaïs, mon épouse, a grandi au Mexique et est Franco-mexicaine; à chacun de nos voyages, nous faisons un cours ou un atelier de cuisine. Quand nous étions dans son pays d’origine, elle m’a fait découvrir les «paletas».


«Paletas»?

C’est ainsi que s’appelle les esquimaux traditionnels là-bas. «Palo» signifie bâtonnet en espagnol et «paleta» glace-sucette sur un petit bâton. Cette tradition assez simple a une soixantaine d’années, mais elle suscite depuis peu un incroyable engouement au Brésil, dans toute l’Amérique latine et aux Etats-Unis. Ce succès a inspiré de nouvelles recettes, plus raffinées, avec des cocktails, des toppings originaux, et cætera. C’est là qu’est née l’idée: faire un produit fusion Suisse-Mexique avec des parfums susceptibles de plaire ici, mais surtout des produits écoresponsables, bio et locaux. J’ai suivi un cours sur place pour apprendre à faire les paletas…

Votre entreprise porte le nom «Kalan Paletas». Quelle est la signification de Kalan?

C’est un mot maya qui signifie à la fois protéger, prendre soin et protecteur. Je trouve que ça va bien avec l’idée de protéger sa santé, l’environnement et l’agriculture et c’est aussi le sens de l’alebrije, ce petit démon protecteur de la mythologie maya que nous avons choisi en guise de logo, dessiné par une graphiste mexicaine. Le Mexique est le pays le plus inspirant qui soit – et nos produits racontent une histoire.

Selon votre site internet, vous vous engagez pour une institution éco-sociale au Mexique.

Nous soutenons l’organisation non gouvernementale Alternare, qui a vu son travail reconnu par plusieurs prix prestigieux. Nous avons rencontré sur place les deux agricultrices et les deux biologistes qui l’ont créée et qui ont mis sur pied un centre de recherche sur l’agriculture biologique et la permaculture. Alternare forme gratuitement les agriculteurs qui en font la demande. Elle est installée dans une réserve nationale et engagée dans des projets de reforestation. Sur chaque glace vendue nous reversons cinq centimes à Alternare.


Vos glaces sont certifiées Bourgeon Bio Suisse. Quelles matières premières travaillez-vous et comment?

Tout est fait à la main, à très petite échelle dans mon labo du centre de Lausanne: les oranges sont pressées par nos soins, nous faisons nos brownies et nos meringues, le popcorn et le caramel sont maison. Nous achetons tous nos fruits à des fermes bio de la région; le lait et la crème sont achetés au Sapalet, éleveur bio de Rossinière. Pour les produits que nous devons importer tels que le cacao, le sucre de canne, la noix de coco ou les fruits de la passion, nous passons par Bio Partner..

Parlons de la glace finie: quelle est la gamme des parfums de Kalan?

Nous essayons d’ajouter aux parfums les plus classiques une petite touche de fantaisie, par exemple avec des associations comme abricot-verveine, orange-romarin ou fraise-menthe. Plus original, on a fait une glace chasselas avec les raisins et le vin en biodynamie d’Henri Cruchon ou une glace concombre-citron avec une sauce mexicaine piquante. À ce jour, on arrive à quelque 27 recettes, plus des créations saisonnières et autres éditions limitées.


Est-ce un défi de produire des glaces?

Il y a, bien sûr les limites liées à la météo. En 2018, année catastrophe marquée par le gel, impossible de trouver des quantités suffisantes de pommes bio. Raison pour laquelle nous sommes parfois obligés d’acheter des fruits rouges congelés pour garantir la qualité et la quantité nécessaires. Sinon, je ne le vois pas comme un défi particulier.



Pas non plus au niveau fabrication? Nous ne parlons pas de glaces industrielles bien entendu. Comment obtenez-vous par exemple la couleur?

Nous n’avons jamais imaginé recourir à des colorants, car on trouve à l’état naturel des couleurs magnifiques, qu’il s’agisse du vert de la peau du concombre ou d’un de nos «must» du moment, la paleta framboise-hibiscus, d’un rouge éclatant. Nous avons aussi nos petits secrets pour parvenir à la bonne texture, par exemple en recourant à trois sucres différents et un mélange sucre inverti-citron, selon les recettes. Il faut ajouter qu’une des clés de notre succès tient aux faibles quantités de sucre.

Comment cela?

La teneur en sucre de nos glaces est d’environ 15 pourcents, en comptant le sucre naturel des fruits et du lait. Notre glace à l’orange par exemple contient 85 pour cent de jus d’orange. Le goût est donc celui, pur et brut, du fruit. Je crois que les gens en ont marre du sucre caché partout, jusque dans ces produits industriels qui ont le droit d’indiquer «zéro sucre» sur leurs étiquettes.


Quelles autres particularités distinguent vos glaces bio?

La matière solide est beaucoup plus importante que dans une glace industrielle où l’air (le foisonnement), le sucre et l’eau sont souvent les ingrédients principaux. On peut arriver à des textures très sympas en travaillant sur les recettes, par exemple celle aux brownies ou au popcorn. Il faut aussi ménager un temps de repos plus long avant de congeler la masse. Et enfin, les vendre à bonne température, soit environ moins 14 degrés.

Auparavant, vous avez mentionné, entre autres, le cacao comme matière première. Quel rôle joue pour vous le commerce équitable?

Nous sommes très attentifs au commerce équitable. Hormis ce qui est bio et local, nous achetons si possible du «Fairtrade», le label Max Havelaar. Mais pour nous, il est actuellement encore trop tôt pour réfléchir à une certification. Après le label Bourgeon Bio Suisse, nous allons avoir une certification locale: il faut savoir qu’à chaque fois, il s’agit de processus longs et coûteux, avec des frais de licence, et cætera. Donc nous avons choisi d’avancer pas à pas.

Et quelle est votre approche du développement durable?

Les bâtonnets sont en bois certifiés PEFC. Nous sommes très attentifs au gaspillage, avons zéro déchets liés à la production et tous nos emballages sont biodégradables. Seule exception, le plastique des glaces vendues au détail chez certains de nos revendeurs. Pour l’heure, nous n’avons pas encore trouvé d’alternative, mais ça viendra, j’en suis sûr.


Et pour finir: où trouve-t-on vos glaces?

Nous avons un Foodtruck, qui se trouve chaque jeudi à partir de midi sur la Place de la Riponne à Lausanne, et un stand chez Manor Lausanne, qui est ouvert du lundi au samedi. En plus de cela, nous avons une centaine de petits revendeurs dans toute la Suisse. Le fait de travailler avec Bio Partner nous a ouvert les portes d’Alnatura et on trouve nos glaces aussi chez Tibits dans toute la Suisse.

Site web: kalanpaletas.ch

Propos recueillis par Véronique Zbinden

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